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Pourquoi tabarnak ? La véritable histoire derrière les sacres québécois

Pourquoi tabarnak ? L'histoire derrière les sacres québécois

Ben oui, pourquoi tabarnak ou crisse ou câlice ? La plupart des québécois savent que ces mots sont d’origine religieuse. Des noms des personnages de la bible aux sacrements catholiques en passant par le mobilier de l’église ! Mais POURQUOI utilise-t-on des références religieuses au Québec pour exprimer nos plus intenses émotions comme la joie, la colère, l’étonnement, la douleur, etc. ?

Toutefois, ce n’est pas qu’au Québec que les jurons ont une connotation religieuse. C’est un trait observé dans un grand nombre de cultures à travers le monde.

Mais un sacre, c’est quoi et ça sert à quoi ?

Le dictionnaire Larousse nous propose deux usages :

1. Expression grossière traduisant sous forme d’interjection une réaction vive de dégoût ou de colère.

2. Dans la religion chrétienne, parole offensante pour Dieu ou pour quelque chose de sacré pris, mal à propos, à témoin.

Les deux mots qui frappent le plus de ces définitions sont « grossière » et « offensante ». Autrement dit, un sacre, un juron ou un blasphème doit déranger. Il doit donner un sentiment de transgresser les règles de la bienséance lorsqu’on l’utilise, sinon son effet sera nul ou il ne traduira tout simplement pas l’émotion de celui qui y a recours.

Qu’est-ce qui fait le plus mal ? Recevoir un citron de coup de marteau ou un câlice de coup de marteau ? On ne peut pas dire que le mot citron risque de défouler le locuteur et encore moins d’impressionner l’auditeur !

Pour agir à titre d’exutoire adéquat, il faut que le sacre fasse aussi mal que le coup de marteau !

On identifie trois principales sources de transgression sociale dans le langage. Le sexe, les excréments et finalement la religion.Les français semblent avoir fait migrer leurs jurons vers la chose sexuelle (fils de pute, putain, bordel, etc.), tandis que nous nous acharnons envers la religion. L’instauration précoce de la laïcité au sein de la société française en est peut-être la cause.

Pour ce qui est des jurons scatologiques, ils se résument pas mal par « merde et trou-du-cul » en France et « marde et trou-de-cul » au Québec. Il s’agit, de loin, de la catégorie de jurons la moins intéressante. Je m’abstiendrai alors de l’explorer en profondeur… (N.D.L.R. La pognes-tu ?)

Grafitti scatologique

Le caractère religieux de nos jurons est tout de même un legs des colonisateurs français qui peuplèrent le Québec au temps de la Nouvelle-France. Ils sacraient chez eux, ils sacraient ici et ils sacraient probablement beaucoup entre les deux en affrontant l’Atlantique !

On aurait tendance à penser qu’à cette époque plus pieuse, où l’Église exerçait un pouvoir unilatéral sur la vie des gens, les jurons devaient être moins blasphématoires en regard de la religion catholique ou de Dieu, mais c’est tout le contraire. En fait, plus la religion est présente et puissante, plus c’est envers elle que se dirigent les sacres de ses contemporains. Des jurons de l’époque qui, aujourd’hui, semblent inoffensifs à cause de leur caractère vieillot, cachent un sens qui porte un bien pire outrage que les sacres modernes.

Voici quelques sacres anciens :

Parbleu

Une déformation de « par Dieu ». Un agencement de mots qui semble bien innocent mais, selon les préceptes chrétiens, le fait d’évoquer en vain le nom de Dieu constitue un péché en soi. On change Dieu pour Bleu pour contourner le blasphème.

Effectivement un acteur qui serait nommé Gérard Deparbleu… ça ferait moins dramatique !

(N.D.L.R. Scusez-là!)

Sacrebleu

Semblable à parbleu, il s’agit d’une déformation de « sacre de Dieu ».

Palsambleu

Là ça se corse. On y reconnaît le nom sous-entendu de Dieu avec bleu, mais le préfixe est un peu plus morbide. Palsambleu est une déformation de « par le sang de Dieu ».

Torrieu

À partir d’ici, ça devient personnel. Le blasphémateur défie directement son créateur, toujours en camouflant son audace en changeant quelques lettres. Ainsi Torrieu signifie : je fais du tort à Dieu.

Vinguienne

Aussi une attaque personnelle mais avec une touche d’arrogance supplémentaire en prétendant pouvoir vaincre l’Être Suprême. Vinguienne équivaut à dire : Je vaincs Dieu.

Comme on dit de nos jours… Y en a qui se prennent pas pour un « 7up flat » !

Jarnigouenne

Celui qui prononçait ce mot cherchait à provoquer, par sa mécréance, en niant l’autorité ou même l’existence de Dieu. Un péché mortel ! Jarnigouenne se décortique ainsi : Je renie Dieu.

Diantre

À l’instar de Dieu, on cite aussi son adversaire en usant du même subterfuge qui consiste à déformer le mot pour en cacher sa nature. Diantre est une dérivation de Diable.

Ces sacres qui puisent leur origine au Moyen Âge, étaient de véritables défis lancés à Dieu, envers son existence, sa toute-puissance ou encore son autorité. Aujourd’hui les descendants nord-américains des Français ont adouci leurs blasphèmes en se contentant d’évoquer des personnages bibliques ou en citant le mobilier et la vaisselle de l’Église.

Calice et ciboire contenant des hosties. ( câlice de ciboire d’osti ! )

Voici les plus populaires.

Crisse

Une déformation de Christ, qui signifie Messie ou personne ointe de Dieu. C’est un nom que les chrétiens donnent à Jésus dans le Nouveau Testament.

Hostie

Si vous avez fait votre première communion ou simplement assisté à la messe, vous êtes sûrement familiers avec les hosties, ces petites galettes minces de pâte sèche dépourvue de saveur. Selon la croyance, cette petite pâtisserie plate (littéralement et au figuré) se transforme au moment de la manger pour devenir le corps du Christ dans un processus appelé la transsubstantiation. On prononce et orthographie ce sacre de différentes façons : osti, asti, estie ou même sti !

Sacrament

L’emploi de ce mot fait évidemment référence aux différents rituels, appelés sacrements, pratiqués par les catholiques tels que le baptême (aussi un juron), le mariage, l’eucharistie ou encore l’extrême-onction.

Câlice

Il suffit de retirer l’accent circonflexe de ce mot pour qu’il reprenne son sens réel. Le calice est une coupe évasée sur pied élevé dont se sert le célébrant pour boire du vin qui, selon la croyance, devient le sang du Christ au cours du sacrement de l’eucharistie.

Ciboire

L’un des rares sacres utilisé dans sa forme originale sans altération orthographique ou de prononciation. Le ciboire est un petit vase en forme de coupe généralement fermé d’un couvercle serti d’une croix. Il contient les hosties.

Tabarnak

Cette déformation très légère de tabernacle, ce petit meuble qui abrite le ciboire, est l’un des préférés des Québécois. Le fait d’être composé de consonnes dures et de s’étendre sur trois syllabes permet de bien savourer la gravité du sentiment exprimé. De loin le plus puissant et le plus rythmé de nos jurons !

Anecdote personnelle

À mes débuts en tant qu’animateur radio, un de mes mentors me fit valoir un principe selon lequel une bonne interjection « sonnait comme une descente de drum ».

Je trouve que cette image explique à merveille la satisfaction que l’on ressent en décochant un crisse de tabarnak libérateur !

Imaginez Crisse comme un coup de caisse claire, de tabar… sur les tambours et le nak sur la cymbale finale !

L’entendez-vous ?

Je suis d’avis que la musicalité des sacres joue possiblement un rôle dans la popularité de certains et détermine de leur agencement.

À titre d’exemple, crisse de tabarnak coule beaucoup mieux et est plus fréquemment employé que câlice de sacrament !

Est-ce mal de sacrer ?

Oui et non. Les mots seuls ne sauraient porter en eux une charge morale. Tout dépend du contexte, du lieu, de la culture et bien sûr, de l’auditoire. Lancer un crisse de câlice dans le vestiaire d’une équipe de hockey entre deux périodes ne risque pas de froisser grand monde… Mais dans une église pendant des funérailles, c’est autre chose !

Apostropher un individu dans le métro de Montréal en lui disant « Toi mon tabarnak, je vais t’en crisser une ! » porte le poids d’une menace en bonne et due forme. Mais dans le métro de Paris, la même phrase risque davantage de provoquer des sourires, voire des rires, de gens amusés d’entendre le langage exotique de leurs cousins québécois.

De la même façon, les mots enfoirés et bordel n’ont aucun effet insultant et encore moins menaçant au Québec.

Ce phénomène est bien sûr accentué si on change de langue en plus de changer de culture. Au Québec, on emploie le mot fuck de façon si légère qu’on le tolère même lorsqu’il est prononcé par nos enfants en public. Or, ce mot est considéré comme l’un des plus grossiers et inacceptables de la langue anglaise.

L’évolution des sacres

Les sacres sont là pour rester et continueront d’évoluer. Pour rester un sacre, un mot doit être frappé d’un interdit social. À force d’être banalisés, ils perdent de leur force et leur effet sur le langage est amoindri.

Quand tabarnak d’hostie de câlice de ciboire de crisse ne dérangera plus personne, notre culture accouchera d’autres termes pour remplir le rôle des sacres.

Aussi longtemps que l’on se donnera des coups de marteau sur les doigts !

Des câlices de coups de marteau !

Un homme qui s’est câlicé un coup de marteau sur les doigts

Le parler québécois sur le blogue…


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François Paquette

Animateur de radio, podcaster et blogueur.

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