Qu’est-ce qui fait de Citizen Kane un si grand film ?

En 1941, alors qu’un conflit mondial fait rage, la RKO (l’un des 5 grands studios américains de l’époque) accorde à un jeune dramaturge prodige, co-fondateur du Mercury Theatre et personnalité radiophonique de renom un contrat sans précédent en termes de contrôle créatif de son oeuvre.

Le résultat en sera un film encore considéré aujourd’hui comme l’une des plus grandes oeuvres cinématographiques de l’histoire. (Sinon la plus grande…)

Je m’en souviens comme si c’était hier. Je regardais toujours la cote des films dans le TV Hebdo ou le guide télé de La Presse comme s’il s’agissait du pointage d’un match du Canadien. Toujours à la recherche d’un fameux: (1) Chef d’oeuvre

Mon premier souvenir d’en avoir trouvé une: Citizen Kane

C’est alors que débuta ma fascination pour ce film, et pour Orson Welles.

Numéro un pendant 5 décennies consécutives du British Film Institute et numéro un de la liste 100 Years, 100 American Films du American Film Institute en 1998 et en 2007 lors de sa mise à jour…

Citizen Kane est assurément un chef d’ouvre. Découvrons pourquoi.

Fort de sa mythique adaptation radiophonique de La Guerre des Mondes de H.G. Wells en 1938 sur CBS Radio et de ses nombreuses accolades dans le monde théâtral, RKO, confiant de son potentiel, offre à Orson Welles un contrat lui donnant un contrôle créatif inégalé pour un réalisateur en étant à ses premières armes

C’est à partir de 1939 que George J. Schafer tente inlassablement d’attirer Welles vers Hollywood. Bien que la Warner Brothers ait également tenté à plusieurs reprises de s’entendre avec Welles. Depuis 1936 en fait.

Le scénario de Citizen Kane, co-écrit par Orson Welles et Herman J. Mankiewicz, a été salué pour sa structure narrative novatrice. L’utilisation des flashbacks et des points de vue multiples pour raconter l’histoire de la vie d’un magnat de la presse, Charles Foster Kane, offrant une perspective complexe et intrigante sur la psychologie du personnage principal.

Welles a utilisé des techniques révolutionnaires pour l’époque, allant même jusqu’à creuser des tranchées dans les planchers dans le but d’obtenir le résultat qu’il espérait. Bien que plusieurs historiens du cinéma dénombrent certaines de ces techniques innovatrices dans d’autres films, Welles est assurément celui qui en a regroupé le plus dans une même production.

Au nombre de celles-ci on dénombre:

La profondeur de champ: Orson Welles et son directeur de la photographie, Gregg Toland ont utilisé la profondeur de champ de manière novatrice dans le film. Ils ont développé des techniques permettant de maintenir une grande partie de l’image nette à la fois en avant-plan et en arrière-plan, créant ainsi une sensation d’espace et de réalisme inhabituelle à l’époque.

L’utilisation de l’éclairage: Le film a fait un usage inventif de l’éclairage, notamment en utilisant des sources lumineuses cachées pour créer des effets dramatiques et des ombres expressives.

La caméra mobile: Welles et Le directeur de la photographie Gregg Toland, qui a joué un rôle essentiel dans la réalisation visuelle distinctive  de Citizen Kane, ont utilisé la caméra mobile de manière dynamique pour filmer certaines scènes, ce qui était peu courant à l’époque. Ils ont utilisé des rails et des chariots pour obtenir des mouvements de caméra fluides et innovants. a joué un rôle essentiel dans la réalisation visuelle distinctive de Citizen Kane. Cette collaboration entre Welles et Toland a donné naissance à une esthétique cinématographique révolutionnaire.

Le montage non linéaire: Citizen Kane utilise une structure narrative non linéaire, avec des flashbacks et des montages qui remontent dans le temps. Cette approche narrative a contribué à redéfinir la façon dont les histoires étaient racontées au cinéma.

La maquillage et le jeu d’acteur: Orson Welles a utilisé des techniques de maquillage pour vieillir son personnage tout au long du film, et il a également encouragé les acteurs à jouer de manière plus naturelle, évitant les exagérations souvent présentes à l’époque.

L’effet de profondeur: Le film a utilisé des maquettes et des effets visuels pour créer une sensation de profondeur dans certaines scènes, notamment dans le château de Xanadu.

L’innovation narrative: Citizen Kane a introduit une narration complexe et ambiguë, avec un protagoniste énigmatique dont le sens est dévoilé progressivement. Cette approche narrative a influencé de nombreux films ultérieurs.

Ces innovations ont contribué à redéfinir les normes de la réalisation cinématographique et ont influencé de nombreux réalisateurs ultérieurs.

La performance d’Orson Welles en tant que Charles Foster Kane est souvent considérée comme l’une des meilleures de l’histoire du cinéma. Sa capacité à incarner un personnage complexe et ambivalent a été remarquablement appréciée.

Le film aborde des thèmes universels tels que le pouvoir, la richesse, l’ambition et la solitude. Il interroge également le rôle des médias dans la manipulation de la vérité et dans la construction de l’image publique d’une personnalité publique, ce qui est toujours pertinent de nos jours.

Citizen Kane a influencé une génération entière de réalisateurs et de cinéastes, établissant de nouvelles normes dans la façon de raconter des histoires au cinéma. Son héritage peut être observé dans de nombreux films ultérieurs qui ont adopté des techniques similaires et qui ont cherché à explorer des thèmes profonds.

Dès sa sortie en 1941 le film est acclamé par la critique, mais il n’a pas connu un succès commercial immédiat. Convaincu d’être l’inspiration du personnage de Charles Foster Kane, William Randolph Hearst, magnat de la presse, va jusqu’à interdire la mention du film dans tous ses journaux. Il aurait également tenté de faciliter un accord pour que la RKO détruise toutes les copies du film avant sa sortie.

Cependant, au fil des ans, le film a gagné une réputation de chef-d’œuvre incontesté et a été inclus dans de nombreuses listes des meilleurs films de tous les temps.

Orson Welles avait seulement 25 ans lorsqu’il a réalisé Citizen Kane. C’était son premier long métrage en tant que réalisateur, et il a été incroyablement ambitieux et audacieux dans sa vision artistique, ce qui était plutôt inhabituel pour un réalisateur débutant à l’époque.

La réalisation de Citizen Kane a été marquée par des tensions entre Orson Welles et le studio RKO Pictures. Welles avait obtenu un contrôle presque total sur le film, ce qui était extrêmement rare pour un réalisateur à l’époque. Cela a suscité des désaccords avec le studio, notamment sur le budget et les délais de production.

Le mystère de Rosebud: L’intrigue centrale de Citizen Kane tourne autour du mot « Rosebud », qui est le dernier mot prononcé par le personnage principal, Charles Foster Kane, avant sa mort. Cette expression devient un élément central de l’enquête menée par un journaliste pour découvrir la signification de ce mot énigmatique. Orson Welles et le co-scénariste Herman J. Mankiewicz ont gardé secret ce que signifiait réellement « Rosebud », alimentant ainsi les spéculations et les débats parmi les spectateurs et les critiques.

Les interdictions et controverses : Citizen Kane a suscité certaines controverses, en particulier en raison de sa représentation de William Randolph Hearst, un magnat de la presse de l’époque, dont le personnage de Charles Foster Kane est en partie inspiré. Hearst aurait fait pression sur les studios pour que le film ne soit pas diffusé et a tenté de le faire interdire, mais finalement, le film est sorti et a été projeté dans les cinémas.

En conclusion, quelques faits méconnus concernant la production du film

Le co-scénariste de Citizen Kane, Herman J. Mankiewicz, qui travaillait à Hollywood depuis 1926. Mankiewicz a travaillé avec les Marx Brothers et était l’un des nombreux scénaristes non crédités du Magicien d’Oz. Il est mort en 1953 – 12 ans seulement après la sortie du film, à l’âge de 55 ans.

Le contrat que Mankiewicz avait signé prévoyait à l’origine que Welles serait le seul à être crédité du scénario. Il réclama plus tard le crédit, et RKO le lui accorda. Dans les années 1970, la critique de cinéma contestataire Pauline Kael a écrit un essai intitulé Raising Kane, dans le but de discréditer toute revendication de Welles sur le scénario de son film. Cet essai a été réfuté à plusieurs reprises par des historiens du cinéma plus pondérés. 

Comme Welles n’avait jamais réalisé de film, il s’est fait autodicate. Il a utilisé Le cabinet du docteur Caligari comme repère visuel et aurait regardé le film de John Ford Stagecoach une quarantaine de fois pour se préparer.

À l’origine, Welles avait prévu de réaliser une adaptation du Cœur des ténèbres pour la RKO, mais le projet n’a pas abouti. Déçu et ne voulant pas que cela se reproduise, Welles triche un peu avec Citizen Kane. Il dit à la RKO qu’il ne fait que des essais de caméra, mais en réalité, il commence le tournage du film. Sa logique était que s’il était déjà en train de tourner, RKO n’avait qu’à le laisser aller de l’avant et terminer.

Welles s’est vraiment donné à fond dans ce film. Lors du tournage de la scène où Kane engueule son rival Jim W. Gettys du haut d’un escalier, il a fait une chute de trois mètres et s’est cassé deux os de la cheville. Il a dû diriger le film en fauteuil roulant pendant deux semaines.

De nombreux acteurs ont fait leurs débuts dans ce film, et Welles a bien sûr fait ses débuts en tant que réalisateur. Et puis, il y a aussi le compositeur. Welles a fait appel à son compositeur du Mercury Theater, un certain Bernard Herrmann. Herrmann a fait ses débuts au cinéma dans Citizen Kane, bien qu’il ait remporté un Oscar pour un autre film de 1941, All That Money Can Buy. Cependant, il est surtout connu pour son travail avec Alfred Hitchcock, notamment pour la partition emblématique de Psycho.

L’une des séquences emblématiques du film est le montage du petit-déjeuner. Grâce à un montage astucieux, Welles parvient à raconter efficacement l’histoire du premier mariage de Kane en l’espace de deux minutes. Cinq séquences racontent l’histoire de 16 années de mariage. La narration visuelle est également très forte. Remarquez à quel point Kane et sa femme s’éloignent physiquement l’un de l’autre d’un segment à l’autre.

Citizen Kane a été bien accueilli par les critiques – du moins ceux qui ne travaillaient pas pour les journaux de Hearst – et a obtenu neuf nominations aux Oscars. Cependant, il n’en a remporté qu’un seul. Il s’agit du prix du scénario, attribué à Welles et Mankiewicz.

Les scénaristes des Simpsons adorent Citizen Kane. Ils ont parodié ce film emblématique à de nombreuses reprises, généralement par l’intermédiaire du personnage de M. Burns. En fait, il y a même un épisode des Simpson intitulé Rosebud.

Rosebud est la luge d’enfance de Kane. Nous le savons tous. Lors du tournage du film, trois traîneaux ont été fabriqués, dont un seul n’a pas été brûlé. En 1982, cette luge a été achetée par nul autre que Steven Spielberg.

Welles était un jeune homme de 25 ans en pleine ascension lorsqu’il a réalisé Citizen Kane. Il a réalisé un film que beaucoup considèrent comme le meilleur de tous les temps. C’était aussi le sommet de sa carrière. Beaucoup de ses projets n’ont jamais été achevés ou ont été compromis. Il a tout de même réalisé quelques films à succès, comme The Magnificent Ambersons ou Touch of Evil. Cependant, il n’a jamais été nommé pour un autre Oscar, et son seul Oscar (non honorifique) est celui du meilleur scénario.

Un grand film, réalisé par un jeune prodige de 25 ans qui près de 100 ans plus tard, conserve son statut de film extraordinaire